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Interview de Jeune Afrique au Ministre de l'Economie et des Finances de Côte d'Ivoire, Monsieur Adama Coulibaly : «En Côte d’Ivoire, le recul de la pauvreté est une réalité»

Le ministre de l’Économie et des Finances ivoirien met en avant les réformes menées en 2020 pour limiter l’impact du Covid, et table sur un fort rebond économique en 2021. 

« Il faut être factuel », rappelle Adama Coulibaly. Ministre de l’Économie et des Finances de la Côte d’Ivoire depuis septembre 2019, l’ancien enseignant-chercheur en économie a été actif pendant de nombreuses années dans les équipes du PNUD et l‘appui aux populations vulnérables, conservant de cette double expérience une forte inclination pour les données chiffrées et un intérêt pour les questions sociales.

À la mi-décembre, trois semaines après le retour remarqué d’Abidjan sur le marché de la dette internationale, c’est un Adama Coulibaly affable mais résolu qui, entre deux réunions, s’est plié à notre exercice de questions-réponses. De l’épidémie du Covid-19 (impact, scénarios de reprise, vaccins) à l’état réel de la situation sociale en Côte d’Ivoire, en passant par la réforme du franc CFA, le grand argentier de l’économie ivoirienne est revenu en détail sur les dossiers économiques les plus pressants de l’actualité.

Jeune Afrique : Le gouvernement ivoirien a levé, à la fin de novembre, 1 milliard d’euros sur le marché financier international. Était-ce le moment pour revenir sur le marché des eurobond ?

Adama Coulibaly : La Côte d’Ivoire est le premier pays africain à avoir réussi une telle mobilisation de ressources dans le contexte du Covid-19. Nous avons pu mobiliser un large spectre d’investisseurs, avec pour résultat un « book » [carnet de commandes] de 5,1 milliards d’euros, ce qui est une première pour la Côte d’Ivoire depuis le premier eurobond du pays, émis en 2014.

Cette opération est également inédite au niveau des taux, avec un rendement de 5 %, soit le plus bas pour la Côte d’Ivoire sur le marché international des capitaux et le plus bas pour un pays d’Afrique subsaharienne hormis l’Afrique du Sud.

Comment avez-vous organisé la promotion de cette levée de fonds, vu les restrictions de déplacements liées au Covid-19 ?

D’ordinaire, l’émission d’eurobond requiert effectivement la réalisation d’un prospectus et de « roadshows », de tournée de présentation aux investisseurs de place financière en place financière, mettant en avant les atouts du pays, les réformes, la capacité à rembourser l’ emprunt.

C’EST GRÂCE AU PRÉSIDENT OUATTARA QUE NOUS AVONS PU OBTENIR ET CONSERVER LA CONFIANCE DES MARCHÉS

Nous avons travaillé cette fois via des téléconférences et des conférences téléphoniques – en plus de la circulation du prospectus – avec des investisseurs à Londres et aux États-Unis.

Que voulaient-ils savoir ? Que leur avez-vous dit pour les convaincre ?

Ce sont les fondamentaux économiques, les réformes de grande ampleur que nous avons menées et la vision et l’orientation du président Ouattara qui ont permis d’obtenir et de conserver la confiance des marchés. Nous avons mené des réformes à la fois macroéconomiques et sectorielles. Nous avons par exemple assaini et développé le secteur financier, en réduisant le portefeuille de l’État, avec le désengagement de nos participations minoritaires et la restructuration des banques détenues majoritairement par l’État. Nous avons aussi impulsé le développement de nouveaux produits comme le crédit-bail et avons créé l’équivalent de la CDC française avec la Caisse des dépôts et consignations de Côte d’Ivoire.

LE PAYS N’A PAS ÉTÉ ÉPARGNÉ PAR LA CRISE

Nous avons aussi sécurisé et facilité l’accès des investisseurs, notamment à l’intérieur du pays, mais aussi quant au classement Doing Business. Pour nous, le secteur privé est important, car c’est lui qui doit porter la croissance économique. Et pour que les entrepreneurs jouent pleinement leur rôle, nous avons fait énormément de réformes, avec la création d’un tribunal de commerce qui rassure les investisseurs, délivrant des jugements délivrés en 90 jours, et un guichet unique pour la création d’entreprises en 48h et même en ligne, avec l’ensemble des administrations concernées en un point unique. S’y ajoutent les réformes sectorielles dans l’énergie et l’agriculture notamment.

Vous avez évoqué le “contexte du Covid-19”. Justement qu’en est-il en Côte d’Ivoire ?

Le pays n’a pas été épargné par la crise. À la fin de 2019, nous tablions sur une croissance de 7,2 % en 2020. En mars, cette projection a été révisée à la baisse à 3,6 %, en tenant compte de l’impact de la crise, avec la fermeture des établissements commerciaux, les barrières sanitaires imposées, le couvre-feu instauré autour du Grand-Abidjan, qui a été isolé du reste du pays en raison des premiers cas de Covid-19 constatés qui étaient des cas importés. Il a fallu ensuite prendre en compte le fait que certains secteurs (tourisme, restauration, hôtellerie…) étaient significativement atteints, aggravant ainsi le ralentissement économique.

L’ÉCONOMIE IVOIRIENNE A DES FONDAMENTAUX SOLIDES

Par ailleurs, un plan de riposte sanitaire a été mis en œuvre pour dépister, isoler et traiter les personnes affectées, qui ont pu être rapatriées et prises en charge, ce qui a permis de contenir l’épidémie. Nos experts, en coordination avec les équipes du FMI, ont réévalué les projections de croissance, avec un taux ramené à +1,8 % pour l’année 2020. Cela étant, il faut noter que le ralentissement économique est estimé à -4,4 % pour cette année à l’échelle mondiale, et à -3 % en Afrique. Dans la zone Uemoa, la croissance ne devrait être que de 0,9 %. Par comparaison, l’économie ivoirienne a fait preuve de résilience, grâce aux réformes engagées depuis 2012, qui lui ont donné des fondamentaux solides.

Et en ce qui concerne l’appui aux entreprises ? Sait-on où en sont les plans de soutien annoncés par le gouvernement ?

Un plan de soutien économique, social et sanitaire a été engagé pour maintenir l’activité économique et l’emploi et permettre la reprise. Un fonds de 100 milliards de F CFA (150 millions d’euros] a été mis en place pour les grandes entreprises, un autre de 150 milliards de F CFA est dédié aux PME, un autre de 100 milliards de F CFA pour l’appui au secteur informel et un plan de solidarité de 170 milliards de F CFA pour les populations les plus vulnérables.
Les programmes dédiés aux grandes entreprises et au PME visent à amoindrir l’impact de la crise sur les problèmes de trésorerie afin d’aider ces structures à maintenir une activité suffisante. Cela a contribué à éviter une croissance négative cette année. Soixante-huit (68) grandes entreprises et 440 PME ont jusqu’ici déjà bénéficié de cet appui.

Ont-ils été totalement déboursés ?

Le déboursement est en cours, une partie de ces ressources couvre l’année 2020, une autre doit être déployée en 2021. NOUS ANTICIPONS UNE CROISSANCE DE 6,5 % EN 2021 Parallèlement, le gouvernement réfléchit à la transformation de ces fonds de soutien en fonds de relance, comme cela est le cas au Sénégal et en France en ce moment.

Parlons du volet sanitaire de la crise. Quels sont les derniers chiffres sur la situation en Côte d’Ivoire ?

Il faut noter que le taux de létalité du Covid-19 en Côte d’Ivoire est de l’ordre de 0,6 %, soit moins que le diabète et l’hypertension. Le pays a enregistré 132 décès – des pertes humaines évidemment regrettables – mais pour plus de 21 000 personnes atteintes du Covid-19 qui ont été traitées et guéries !

Quelles dispositions ont été prises pour la mise à disposition des vaccins ?

Des discussions sont en cours dans le cadre de l’alliance Gavi et de l’initiative COVAX, qui prévoit 20 % de vaccins mis à disposition gratuitement pour les pays africains.

SANS CROISSANCE, RIEN NE PEUT SE FAIRE

Nous construisons en ce moment une chaîne de froid – ces vaccins doivent être conservés à une température de -70° – qui permettra l’accès au vaccin de 5 millions de personnes en Côte d’Ivoire.

Quelles sont les projections pour la reprise économique en Côte d’Ivoire ?

Nous pouvons anticiper un rebond de l’activité en 2021, avec une croissance de 6,5 % selon nos estimations, agréées par le FMI.

Un commentaire récurrent au sujet des chiffres de la croissance en Côte d’Ivoire concerne son caractère “inclusif”. Comprenez-vous ces critiques ?

Il faut être factuel. Le taux de pauvreté en Côte d’ivoire est passé de 55 % en 2011 à 39 % en 2019. C’est une réalité et il est extrêmement important de le noter. Ce sont les chiffres officiels produits avec des institutions crédibles. Certains répètent “la croissance ne se mange pas”. Peut-être, mais la pauvreté ne se partage pas non plus. Sans croissance, rien ne peut se faire. Il faut créer de la richesse, c’est la condition préalable pour pouvoir aider les populations vulnérables.

Au demeurant, vous pouvez vous rendre compte à travers le pays des efforts importants réalisés sur les questions sociales, avec les hôpitaux construits ou la gratuité de l’école pour tous de 6 à 16 ans. Ce n’est pas rien ! Et la couverture maladie universelle, grâce à laquelle 2,4 millions de personnes ont été enrôlées et bénéficient d’une couverture de leurs besoins. S’y ajoutent les efforts en termes d’électrification, d’accès à l’eau potable et la mise à disposition de vivres pour les cantines scolaires. Il n’y a aucune contestation possible ici : le gouvernement est soucieux du bien- être de nos populations. 

Revenons à la question de la dette des pays africains, sur laquelle des pays comme le Sénégal et le Bénin ont pris des positions contraires (pour/contre les annulations de dette). La Côte d’Ivoire a paru en retrait sur ce débat…

Notre position est claire : nous avons adhéré à l’initiative du G20 sur [le moratoire sur] la dette publique, mais avons informé nos créanciers privés que nous continuerons d’honorer nos engagements vis-à-vis d’eux. Il s’agit donc d’une participation claire à ce processus adossée à une communication tout aussi claire vis-à-vis des bailleurs privés. Il s’agit de ne pas affecter notre accès aux marchés de capitaux et cela a été compris. L’agence Moody’s a mis la note de la Côte d’Ivoire sous observation pendant trois mois [de juin à août 2020], puis a levé cette observation, confirmant la note “Ba3” du pays avec des perspectives stables. tandis que Fitch note le pays “B+” avec des perspectives positives. Nos efforts ont permis de conserver la confiance de nos partenaires.

Le débat sur la dette des pays africains revient souvent sur le devant de la scène. Plusieurs économistes jugent que son coût est excessif. Partagez-vous cet avis ?

Le coût de la dette dépend de la notation et du risque-pays. Le taux de 5 % obtenu par la Côte d’Ivoire en novembre est celui auquel certains pays mieux notés doivent s’endetter.

NOUS SOMMES SOUCIEUX DE PRÉSERVER LE POUVOIR D’ACHAT DES POPULATIONS

Quoi qu’il en soit, sur le fond, l’évaluation des risques-pays est primordiale et fait l’objet de discussions, car nous payons parfois des taux plus élevés que nécessaire en raison d’une mauvaise appréciation des risques que nous courons, alors que nous sommes aussi crédibles que d’autres et respectons nos engagements vis-à-vis des prêteurs. Nous travaillons avec les agences de notation sur ces questions.

Autre débat récurrent : le franc CFA. Que répondez-vous à ceux qui disent que la réforme lancée à la fin de 2019 aurait pu aller plus loin ?

Plus loin, c’est-à-dire ? Dans quelle direction précisément ?

Vers l’élimination de la parité avec l’euro par exemple ?

La réforme décidée en décembre 2019 découle de la volonté des pays de la Cedeao et de l’Uemoa d’aller vers une monnaie commune, en accord avec nos partenaires français. Les décisions de décembre 2019 sont importantes : le changement de nom, l’arrêt de la centralisation des réserves et le retrait de la France des instances de décision. La parité et la garantie de convertibilité ont été conservées.
Nous sommes soucieux de préserver le pouvoir d’achat des populations. Dans la zone Uemoa, le taux d’inflation est inférieur à 3 %, contre des taux à deux chiffres chez des voisins que je ne nommerai pas.
C’est pourquoi cette phase intérimaire est importante. S’il faut aller plus loin, ce sera quand l’ensemble de la Cedeao arrivera à l’éco et qu’il faudra discuter des autres ajustements de la monnaie commune. Le calendrier de transition a été chamboulé, en effet, par la crise du Covid et nos experts travaillent sur un nouveau calendrier, mais des avancées importantes sont déjà faites – tant au niveau du nom que de la banque centrale commune –, qui seront communiquées en temps opportun.

Source : Jeune Afrique