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Situation économique - Le ministre de l’Economie et des Finances, dans cette interview exclusive, fait des clarifications et rassure les populations sur la bonne santé de l’économie ivoirienne

Adama Coulibaly : ‘‘La dette ivoirienne est maîtrisée et sous contrôle’’ 

Monsieur le Ministre des Finances bonjour, le niveau de la dette ivoirienne ces dernières années continue d’alimenter une vive polémique sur les médias sociaux et auprès de certains acteurs politiques qui y trouvent un sujet de prédilection pour accabler la gouvernance des autorités actuelles. Ces derniers estiment notamment que notre pays connait un endettement accéléré. Qu’en dites-vous monsieur le Ministre ?

Merci de l’occasion que vous me donnez de me prononcer à nouveau sur cette préoccupation afin d’apporter plus d’éclairage et rassurer certains de nos compatriotes qui s’inquiètent sur le niveau d’endettement de notre pays. J’ai déjà abordé ce sujet à maintes occasions aussi bien lors d’entretiens télévisés que dans la presse écrite.

Si l’on peut noter une hausse de la valeur nominale de la dette publique ivoirienne entre 2012 et 2021, il est essentiel de mettre celle-ci en rapport avec la richesse nationale produite subséquemment. En effet, la richesse créée a triplé passant de 13 600 milliards de FCFA en 2012 à 39 200 milliards de FCFA en 2021. Le dynamisme observé dans l’économie nationale exige un niveau de financement accru afin d’assurer aux acteurs économiques, les infrastructures nécessaires au développement de leurs activités. Les emprunts effectués ont servi à financer les investissements productifs pour l’économie, notamment dans les secteurs de l’énergie, du transport, des infrastructures routières et aussi dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de l’hydraulique etc. A titre d’exemple, la construction du 3ième pont de la ville d’Abidjan, de l’axe Abidjan-Yamoussoukro de l’autoroute du nord, du barrage hydroélectrique de Soubré et l’aménagement de la nouvelle zone industrielle de PK24, entre autres, sont autant de projets structurants qui ont redynamisé l’économie ivoirienne au cours de cette décennie.

La dette accompagne les ambitions de développement d’un Etat. Sachez que lorsque de nouvelles entreprises ou des usines se créent, lorsque la population augmente et que corrélativement le nombre d’enfants à scolariser ou d’étudiants à intégrer au système de formation universitaire est en hausse chaque année, les besoins du pays en matière de renforcement de son potentiel énergétique, de création d’infrastructures nouvelles pour améliorer la fluidité routière ou simplement l’offre de transport, s’accroissent également. Il faut de nouveaux établissements scolaires, de nouvelles universités, de nouveaux centres hospitaliers pour renforcer et rendre accessible à tous l’offre de santé et d’éducation afin de créer ainsi l’équilibre indispensable entre les besoins réels et essentiels des populations et les investissements nécessaires au développement du pays et à l’épanouissement de ses habitants.

En Côte d’Ivoire comme ailleurs, la dette est contractée afin de combler l’insuffisance de ressources nécessaires pour financer les investissements prévus. Ces investissements par la suite génèrent les ressources nécessaires au remboursement de ces dettes. Ainsi la dette, contrairement à ce que d’aucuns pourraient penser, n’est pas contractée pour le financement des besoins de fonctionnement ou de consommation, mais plutôt pour investir dans les projets et programmes de développement du pays et contribuer ainsi à la croissance économique. La dette fait partie intégrante des modèles de développement économique, elle n’est pas un mal en soi. Le tout, c’est de l’utiliser à bon escient et de manière efficiente, comme le fait la Côte d’Ivoire.

Vous avez récemment rappelé que la crise sanitaire mondiale liée à la Covid-19 et la guerre en Ukraine ne sont pas aussi étrangères à cette situation ?

Absolument, la crise de Covid-19 et le conflit entre la Russie et l’Ukraine ont malheureusement contribué à cette hausse observée sur le niveau de la dette, en particulier au cours des années 2020, 2021 et 2022. Je pourrais vous donner quelques exemples à travers le monde. De 2019 à 2020, la dette des pays avancés est passée de 103,8% du PIB à 123,2%, correspondant à une hausse de 20 points en raison de la crise de Covid-19, alors qu’historiquement (2013 – 2019), le taux d’endettement était quasiment stable (104,0% - 103,8%).

Pour les pays tels que la France (97,4% - 115,2%), l’Allemagne (58,9% - 68,7%) et l’Italie (134,1% - 155,3%), la hausse a été respectivement de 18, 10 et 21 points entre 2019 et 2020.

Face à la hausse généralisée de l’endettement, les pays du G20 ont lancé l’initiative de suspension du service de la dette qui a permis à plusieurs pays de consacrer les ressources destinées au remboursement du service de la dette au renforcement des mesures de lutte contre la COVID-19. Les leaders des pays du G20 ont aussi entrepris de mettre en place un cadre commun pour la restructuration de la dette des pays impactés par la pandémie ainsi que les répercussions de la crise en Ukraine, afin de soutenir durablement leur reprise économique.

Dans cet environnement international défavorable qui a engendré un ralentissement de l’activité économique mondiale, la Côte d’Ivoire, à l’instar des autres pays a vu son budget être amputé d’une part importante de ses recettes fiscales. En dépit de cette situation, l’Etat n’a ménagé aucun effort pour apporter un appui considérable aux agents économiques afin de préserver le tissu économique et soutenir les populations vulnérables. Ces efforts du Gouvernement ont été possibles grâce aux concours reçus de nos partenaires techniques et financiers.

Monsieur le Ministre, que répondez-vous à ceux qui redoutent une crise d’endettement ?

Comme je l’ai dit plus tôt, la dette publique ne s’analyse pas uniquement du point de vue de sa valeur nominale. C’est un indicateur non adapté. Il faut toujours l’apprécier au regard de la richesse nationale qu’elle a servi à créer. Ainsi, si vous considérez les ratios d’endettement de la Côte d’Ivoire, vous noterez qu’à la fin de l’année 2021, l’encours de la dette publique ivoirienne, rapporté au Produit Intérieur Brut (PIB), est à 51,7%. Il convient par ailleurs de relever que le ratio d’endettement actuel de la Côte d’Ivoire est bien en deçà de la norme communautaire de l’UEMOA en matière d’endettement public, fixée à 70%. Comparé à d’autres pays d’Afrique subsaharienne comme le Kenya, le Sénégal et le Ghana dont les structures économiques sont proches de celle de la Côte d’Ivoire, les niveaux d’endettement du pays restent bien meilleurs. En effet, le ratio de la dette publique sur le PIB dans ces pays atteint 68% pour le Kenya, 75% pour le Sénégal et 80% au Ghana. Non ! la dette de la Côte d’Ivoire n’est pas excessive ; elle est bel et bien maitrisée et sous contrôle. Elle sert surtout à financer le développement économique du pays à travers des investissements dans tous les secteurs.

En début d’année 2022, je me souviens qu’à la suite de commentaires tendant à faire croire que la Banque Mondiale avait inscrit à nouveau la Côte d’Ivoire sur la liste des pays pauvres très endettés, cette institution avait publié un communiqué dans lequel elle formulait un démenti catégorique. La Banque Mondiale avait notamment clarifié qu’elle avait juste présenté des données de développement relatives aux pays ayant bénéficié de l’Initiative PPTE depuis son lancement. Et profitant de l’occasion, l’institution a confirmé que la dette publique est soutenable et reconnu la politique de gestion prudente menée par les autorités ivoiriennes en matière d’endettement.

Justement Monsieur le Ministre, que fait la Côte d’Ivoire pour maitriser sa dette ?

La Côte d’Ivoire veille activement à la gestion de sa dette à travers divers outils et méthodes dédiés, notamment les stratégies de gestion de la dette à moyen terme et les analyses de soutenabilité. Ces outils permettent à la Côte d’Ivoire d’assurer une gestion optimale de son endettement.

Par exemple, la stratégie de gestion de la dette sur le moyen terme sert à déterminer combien, quand, où, comment, et auprès de qui emprunter dans le but de financer le budget de l’Etat à un moindre coût et risque. Dans ce cadre, la Côte d’Ivoire priorise les sources de financements concessionnels. Ce sont des financements dont une grande portion est considérée comme des dons (environ 35%) et dont les taux d’intérêt sont les plus bas du marché. Lorsque ces sources atteignent leurs limites, nous nous tournons vers les sources semi-concessionnelles. La Côte d’Ivoire ne va sur les marchés financiers que lorsque des contraintes obèrent les financements concessionnels qui sont limités.

Quant à l’analyse de la viabilité de la dette publique, elle examine les ratios d’endettement en lien avec divers indicateurs macroéconomiques sur le long terme afin de s’assurer que la dette demeure soutenable. A ce jour, tous les indicateurs de solvabilité et de liquidité sont en dessous des seuils de référence. Cette gestion rigoureuse de la dette a valu à la Côte d’Ivoire de demeurer à un risque de surendettement modéré, comme cela est confirmé par les partenaires financiers internationaux, notamment la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International.

Interview réalisée par Amedé ASSI